Le truc de mai 2005

Pôvre France
Pour la première fois, le truc du mois reprend, intégralement, un texte "extérieur".
Il a été écrit par Dominique Thomas dans le cadre de l'engagement d'Ami Public en faveur du "Oui" au référendum sur le Traité constitutionnel européen.
Merci Dominique !

Si lundi matin, la France se trouve aux marges de l’Europe, c’est notre pratique de la politique qu'il faudra enfin revoir fondamentalement. Nous ne pourrons pas éternellement remettre à plus tard cette question, sous peine de décrocher définitivement des autres pays européens qui ont su engager des réformes.
Jacques Chirac sera sans nul doute et à juste titre tenu pour le principal responsable du non. Président en exercice depuis 10 ans, réélu par défaut en 2002, après un coup de semonce tonitruant dont il n’a pas su ni voulu tenir compte, il est aujourd’hui un homme politique « exclu » de la société qu’il a pour fonction de représenter. Son incompréhension des jeunes Français lors de l’émission d’avril dernier, en fut la meilleure illustration et il n’était pas le seul à « en avoir de la peine ».

Mais au-delà, c’est bien l’ensemble des équipes gouvernementales qui se sont succédées depuis le début de cette mandature, qui sont remises en question. En effet, il ne fait plus de doute aujourd’hui que si le non l’emporte ce sera très majoritairement pour des raisons qui ont peu à voir avec le texte proposé. Si l’on excepte les souverainistes et le FN, tous les partis ou mouvements appelant à voter non dénoncent des incohérences, des insuffisances, des manquements de l’Europe actuelle et/ou à venir qui, pour être de vraies questions dignes d’être débattues, n’en restent pas moins tout à fait étrangères au Traité soumis à referendum.
Or si les Français s’emparent de toutes les occasions qui leur sont données de tout rejeter en bloc, ce n’est pas qu’ils sont mal ou sous informés, ni qu’ils se laissent manipuler par de mauvaises causes – il devient urgent de cesser de les prendre pour des imbéciles- c’est qu’ils veulent se saisir de chaque opportunité d’exprimer ce qui n’est plus entendu : leurs inquiétudes, leurs déceptions, leurs frustrations face à un monde auquel plus personne ne semble capable de donner du sens.

Leur " Non !" c’est le refus d’une façon de faire de la politique, le rejet d’une classe politique tout entière, droite et gauche confondues, dans leur incompréhension de ce qui fait la vie au quotidien des gens ordinaires. C’est un vaste et général ras-le-bol dont les acteurs refusent de connaître les conséquences, voire revendiquent qu’elles soient destructrices.

Cette dégradation de la politique, comme art de gouverner, cette frustration de ceux qui se sentent ignorés voire méprisés, sont directement induites par la façon dont la France a été (ou n’a pas été) gouvernée depuis dix ans : sans réelle concertation avec le citoyen, sans souci de ceux qui ne s’expriment pas au travers de corporatismes, de droite comme de gauche, dans la méconnaissance d’une réalité trop souvent perçue à travers un prisme technocratique dépassé.

Il aurait fallu comprendre les difficultés réelles d’intégration des dernières générations d’immigrés dans une économie en récession, et sans doute pourrait-on discuter aujourd’hui plus sereinement d’une politique européenne d’immigration sans éveiller les fantasmes d’un pseudo-choc des civilisations.
Car c’est au nom d’un communautarisme nouveau en France, enfant d’une intégration inachevée des populations d’origine maghrébine et de la peur d’un islamisme violent, que l’Europe est dénoncée aujourd’hui comme une menace pour la Nation.

Il aurait fallu accepter de parler du chômage persistant depuis plus d’une génération maintenant, de reconnaître les limites de l’action collective volontariste et d’engager les réformes structurelles nécessaires, tout en menant une profonde action d’accompagnement social des inévitables bouleversements.
L’expérience des pays dont les résultats dans ce domaine sont bien meilleurs que les nôtres montre que la politique efficace est l’inverse de la nôtre : il faut consacrer l’essentiel de l’énergie à développer des activités, créer des emplois et aider les personnes en difficulté à se repositionner dans le monde du travail, par des mesures actives, en particulier la formation.
L’existence d’une véritable alternative aux dénouements brutaux et traumatisants qu’ont connus les entreprises françaises en difficulté serait alors plus crédible.

Il aurait fallu renoncer à l’utilisation irresponsable par les acteurs politiques de l’argument-prétexte « C’est pas moi, c’est l’Europe » pour s’excuser du peu qui fut fait et d’avoir perdu toute marge de manœuvre sur une réalité complexe et multiforme que personne n’a vraiment cherché à comprendre.

Il aurait fallu aussi profiter du formidable élan des peuples d’Europe (des 15) contre la guerre américaine contre l’Irak pour tout de suite prendre acte de l’existence d’une volonté commune qui devait s’imposer aux Etats.

Au lieu de cela, Droite et Gauche se sont enfermées dans un sectarisme frileux et démobilisateur.

Ainsi, en 97 quand la Gauche bénéficie de l’impensable dissolution pour reprendre le pouvoir, elle annonce vouloir tirer les conséquences de son échec de 95. Mais de peur de décevoir son électorat, elle abandonne le peuple des démunis et des exclus à une administration condamnée à l’inefficacité par son immobilisme, gouverne pour les employés des grandes entreprises et les salariés de la fonction publique, sans pour autant convaincre les forces d’innovation et de progrès qu’elle ostracise au contraire d’une étiquette souvent inexacte de « libéraux », terme qui est aujourd’hui devenu infamant.
Comment convaincre alors des bienfaits de la libre concurrence et de la création de petites entreprises, dont on sait que ce sont elles qui créent les emplois ?

Quand la Droite revient en force en 2002, et alors que la crise du 21 avril lui a donné toute latitude de gouverner au centre et d’agir rapidement, elle ignore le message des urnes et se croit majoritaire en France. Elle se lance dans une politique tout aussi sectaire que la précédente mais en faveur des entreprises et des revenus les plus élevés, stigmatisant la fonction publique de tous les maux après que la Gauche l’ait parée de toutes les vertus.
Comment défendre ensuite la notion de Service Public dans une économie de marché ?

Et surtout comment garder une quelconque crédibilité face à un citoyen bien éduqué et bien informé et qui ne supporte plus les doubles discours qui consistent par exemple à désavouer à Paris ce que l’on a approuvé à Bruxelles ; l’intérêt particulier ou catégoriel préféré à l’intérêt général ; l’inaction conjuguée aux promesses et aux fanfaronnades, et enfin la prétention et le mépris, conjugués à une incroyable méconnaissance des réalités économiques modernes ?

Personne n’a osé le langage de la vérité, et le triste spectacle de la soirée électorale des élections régionales de 2004 a confirmé à tous ce que chacun craignait de savoir : de gauche ou de droite, le gagnant se croit toujours plébiscité et le perdant mal récompensé.
Le divorce est consommé et peu importe alors les bonnes manières ; autant jeter les petites cuillers aux orties que les laisser à l’autre !

C’est pourquoi l’Ami Public en appelle aujourd’hui à une véritable réforme de l’Etat et de sa gouvernance. Dès les travaux de la Convention et notamment quand les premiers résultats en furent connus, nous avons soutenu l’idée d’une validation par referendum. Après la Conférence des Etats, nous avons appelé à ratifier cette constitution en tant que meilleur compromis possible aujourd’hui.
Même si tout semble indiquer que le Non va l’emporter, notre position reste inchangée. Cette Europe mérite un large débat et, dans la tradition française, ce débat doit se traduire par un referendum.
Et c’est en tant qu’Européens convaincus et militants que nous regrettons que ce débat sur les pouvoirs et les responsabilités de l’Europe ait été occulté par une crise profonde de légitimité du politique, crise purement hexagonale. Les Français en sont certes davantage les victimes que les responsables, mais c’est une occasion manquée de plus de pouvoir parler sereinement des maux de notre société.

Si, contre toute attente, le Oui parvenait à rallier les citoyens encore hésitants, le problème français ne serait pas réglé pour autant. Mais ce serait au moins un départ pour exiger d’aller plus avant, en harmonie avec les autres peuples d’Europe qui ont déjà résolu certains de nos problèmes, et qui attendent de nous de maintenir une vraie exigence de solidarité dans un monde trop étroitement financier.

C’est pourquoi, plus que jamais nous vous appelons à voter Oui le 29 Mai et quelque soit le résultat nous vous donnons rendez-vous pour continuer le combat pour la réforme.

Dominique Thomas
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